Le vieil incendie
EAN13
9782889072477
Éditeur
Zoé
Date de publication
Collection
DOMAINE FRANCAIS
Langue
français
Langue d'origine
français
Fiches UNIMARC
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Le vieil incendie

Zoé

Domaine Francais

Indisponible

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Le texte fait des allers-retours entre le présent d'Agathe et Véra (sept
journées consacrées à vider la maison familiale) et leur passé commun d’une
part, la vie d’Agathe à New York d’autre part. D’entrée de jeu, le texte nous
plonge dans l’atmosphère intime des deux sœurs et l’esprit terreux et minéral
de la région du Périgord où se passe l’histoire. L’ambivalence des sentiments
entre les deux sœurs est un des enjeux majeurs du texte : culpabilité,
complicité, méchanceté, amour, froideur, fusion, jalousie co-existent.
L’intelligence sensible d'une Agathe aussi puissante que fragile, le bon sens
de Véra, peut-être lié à son aphasie, sont exprimés si précisément et
simplement que le lecteur se projette avec force dans cet univers, y compris
physiquement : il vit une véritable expérience. Le traitement du thème de la
famille est à ce point concret qu’il parle de nous tous. Durant toute son
enfance, Agathe a parlé à la place de sa sœur muette. Au point qu’elle a
souffert de n‘avoir pas d’existence véritablement à elle. A 15 ans, elle
décide de fuir aux Etats-Unis d’abord en Erasmus, puis s’y installe pour de
bon. Rongée par la culpabilité, elle n’arrive plus à maintenir la
communication avec son père et sa sœur qu’elle a abandonnés en tête à tête
dans la maison du Périgord. Les liens se sont effrités, la confiance entre
elles deux aussi : « En milieu d’après-midi, je me décide à lui envoyer un
message. « Chère Véra. » Trop formel. « Salut Véra. » « Véra. » Je repose le
téléphone. Tu es scénariste, incapable d’écrire à ta sœur. » Les détails font
mouche : recettes des années 50 dénichées dans un livre de cuisine ; maison en
pleine forêt, qui s’avère un véritable territoire de chasse ; une chaîne de
fourmis qui avancent inlassablement jusqu’à traverser le salon désormais vidé.
La dimension de cette campagne délaissée est crépusculaire (le village le plus
proche ne compte plus que 30 habitants); l’impression d’étrangeté qu’éprouve
Agathe face à sa cadette est suggérée de manière admirablement concrète. Véra
est devenue une femme solide, autonome, capable de cuisiner avec agilité, de
lire La Disparition de Perec, de se défendre contre les fourmis, d’être
indifférente aux méchancetés gratuites, de remettre son aînée à sa place en
quémandant un peu d’ « humour SVP ». Le père en creux, très attachant est le
grand absent. Ce quatrième roman d’Elisa Dusapin est sans doute son texte le
plus personnel. On retrouve sa voix envoûtante, ces belles et étranges images
(et odeurs) de pourriture, cette communication tellement compliquée entre gens
qui s’aiment. Ce regard précis et sans peur. Le monde animal y prend de plus
en plus ses aises, tout comme le monde du travail et notre rapport à lui
qu’elle observe avec finesse. Agathe est scénariste, elle participe à
l’écriture d’un film à partir de W de Perec. Pour ce qui est de la structure,
on retrouve la simplicité de Hiver à Sokcho. Ce sont 7 jours d’affilée pour
vider la maison et des plongées dans les souvenirs de l’enfance. Vider les
lieux, c’est très concret : « Je procède par catégories. Objets à détruire, à
donner. Je ris de me voir appliquer les conseils d’influenceurs en matière de
rangement. La fenêtre laisse passer une lumière froide. Les araignées fuient.
Elles ne tissent pas de toile mais s’accrochent dans les recoins, autour du
four. J’élimine les mortes au fond des casseroles. J’ai commencé par la
cuisine, qui me semblait la pièce la plus neutre. Dans un grand sac poubelle,
je jette les produits périmés. Moutarde, concentré de tomate. Un pot de masse
blanche, de la graisse de canard. Un étage entier est dédié au fromage. Le
frigo se rétracte face à mes assauts. Il faut dégivrer le compartiment à
congélation. » La relation des deux sœurs va évoluer, tout est à reconstruire,
elles ne se connaissent plus, nombre de non-dits et de malentendus entre elles
sont à élucider… ou pas. A la mi-temps du roman, la reconstruction reste
fragile : « Si je n’étais pas ta sœur, tu serais amie avec moi ? »J’ai trop
peur de briser notre semblant d’harmonie. Je réfléchis longtemps, veux être
sincère. D’une voix aussi douce que possible, je réponds que non, je ne pense
pas. Contre toute attente, Véra a l’air soulagée. Elle dit qu’elle ne m’aurait
pas cru si j’avais dit le contraire. Et toi ? Elle réunit les épluchures de
mandarine. Elle grimace, prend l’air carrément dégoûtée puis me tire la
langue. Mais son regard sourit. Des scènes difficiles ont eu lieu dans
l’enfance, elles resteront à jamais gravées : Le bruit commençait à poindre
que Véra ne parlait plus. Un jeudi de novembre, ma voisine, qui s’appelait
Margaux, je la connaissais de vue d’une classe intermédiaire entre Véra et
moi, s’est penchée par-dessus mon assiette pour demander à Véra son prénom.
J’ai répondu pour elle. Margaux a dit qu’elle savait bien, elle se demandait
seulement si ma sœur était consciente de porter le nom du mâle du cochon. Je
lui ai demandé de ne pas dire ce genre de chose. Margaux a regardé Véra, qui
avalait sa blanquette, le bout des cheveux dans la sauce. Margaux a trituré
les champignons de sa propre assiette, amas spongieux piquetés de rose, avant
de dire qu’il est commun aux animaux de ne pas parler, mais que les
champignons ressemblent à des langues, Véra s’en mettait plein dans le ventre,
il en ressortirait peut-être une chose intelligible. Véra a relevé la tête,
les joues gonflées. Elle s’est tournée vers Margaux. Par-dessus mon assiette,
elle a craché de toutes ses forces un contenu visqueux et blanchâtre. Une
purée de limaces. Ensuite elle a tiré la langue, l’a raclée avec ses dents,
avant de cracher le reste sur Margaux qui n’avait pas bougé, le crachat
s’égouttait de ses cheveux, dans le silence du reste de la salle. Son regard
passait de Véra à moi, elle ouvrait et refermait la bouche sans un son.
J’avais été éclaboussée moi aussi. J’ai pris les morceaux de champignons
tombés dans ma cuillère, je les ai mis dans ma bouche en faisant mine de m’en
délecter. Margaux a fini par lâcher que nous étions cinglées. J’ai attendu
qu’elle quitte la table pour m’essuyer. Deux sœurs se retrouvent dans la
campagne du Périgord: après trois romans situés en Extrême-Orient, une façon
pour Elisa Shua Dusapin d’ancrer pour la première fois la France, son pays
d’enfance, dans son univers romanesque. C’est que suite à une résidence en
Dordogne, « sa » région, elle se réamourache de l’esprit de ce lieu. La maison
de son roman est sensorielle, vivante, un nid pour faire éclore les histoires
et jaillir le passé. Née d’un père français et d’une mère sud-coréenne, Elisa
Shua Dusapin grandit entre Paris, Séoul et Porrentruy. Pour son premier roman,
paru aux éditions Zoé en 2016, Hiver à Sokcho, elle reçoit le prix Robert
Walser, le prix Alpha, le prix Régine Desforges, est lauréate de l’un des prix
Révélation de la SGDL et surtout remporte en 2021, avec sa traduction
anglaise, le National Book Award. Le roman est traduit en 28 langues et sera
porté à l’écran en 2024 par Koya Kamura. De Hiver à Sokcho à Vladivostok
Circus, la presse apprécie « une écriture dense et généreuse, économe mais
jamais sèche » (ELLE magazine) ; « Un premier roman en apesanteur, sans un mot
de trop » (L’Obs) ; « Même sens de l’irruption de l’étrangeté dans les
situations banales, même art de la loufoquerie inquiétante au bord du
dérapage, même attention à la clairvoyance de l’enfance que Yoko Ogawa » (
Télérama) ; « Beau, sensuel et très très poétique » ( La Grande Librairie) ; «
La simplicité de l’épure sans perdre contact avec la matière. Ce don rare
confirme la place d’Elisa Dusapin parmi les voix avec qui il faudra compter. »
(L'Humanité)
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