American Darling

Russell Banks

Actes Sud

  • Conseillé par
    31 mai 2020

    C'est par un rêve que l'Afrique se rappelle à Hannah Musgrave. A l'approche de la soixantaine, celle qui est désormais à la tête d'une ferme écologique dans les Adirondacks, se retourne sur son passé, de sa jeunesse d'activiste recherchée par le FBI à sa fuite et son installation au Liberia. Le moment est venu pour Hannah d'entreprendre un voyage qui la conduira sur les traces de son mari africain, de ses trois fils disparus et de ses ''rêveurs'', les chimpanzés qu'elle avait tenter de sauver de la cruauté humaine.

    Curieux destin que celui d'Hannah Musgrave, une jeune Américaine issue de la classe favorisée et qui se joint aux protestations étudiantes de la fin des années 60, milite pour les droits civiques et contre la guerre au Vietnam, fabrique des bombes pour la cause et finit par quitter les États-Unis pour fuir la justice. Ce choix de vie l'a éloignée de ses parents, un pédiatre renommée et une mère au foyer égocentrique, le mandat d'arrêt contre elle l'a contraignant à donner peu de nouvelles. Sans attaches, elle arrive en Afrique, la peur au ventre, un peu déboussolée, et se laisse séduire par Woodrow Sundiata, le ministre de la Santé du Liberia. L'activiste pleine de fougue devient une épouse obéissante et la mère un peu distante de trois garçons. Hannah se languit dans cette vie familiale peu gratifiante et trouve refuge auprès des chimpanzés. Elle crée un refuge qui devient sa raison d'être. Les années filent, rythmées par les manœuvres politiques, les coups d'Etat, les massacres entre factions rivales, les guerres civiles. Le jour où elle est sommée par l'ambassade américaine de quitter le pays pour sa propre sécurité, elle abandonne ses fils, Dillon, Paul et William, qui, portés par le violence des évènements sont devenus Pire-que-la-mort, Mouche et Démonologie.
    Curieuse femme cette Hannah Musgrave qui passe d'un engagement politique radical aux Etats-Unis à une étrange apathie au Liberia. C'est un personnage de femme comme seule la littérature peut en produire. Forte, froide, tourmentée, elle est parfois spectatrice de sa propre vie, ne semble pas s'attacher aux êtres humains qu'elle rencontre mais peut s'enflammer pour un chimpanzé. Même ses fils lui sont étrangers, plus fils de leur père africain que de leur mère américaine. Hannah n'est pas forcément attachante, faite de contradictions, d'ambiguïtés, mais l'auteur sait nous la rendre proche dans ses convictions, les choix qu'elle fait et ceux qu'elle subit.
    Et puis bien sûr, ce destin et cette femme s'inscrivent dans un contexte historique qui fait aussi la force de ce roman. Des heurts anti-guerre du Vietnam en Amérique aux guerres civiles qui ont secoué le Liberia. Ce pays peu connu est ici raconté depuis l'installation des anciens esclaves jusqu'aux despotes qui se sont succédé au pouvoir, dans la fureur et le sang. Fausses promesses, détournement des aides humanitaires, massacres des opposants, enfants soldats sanguinaires, dictateurs hargneux...sous l’œil goguenard des États-Unis qui soutiennent l'un ou l'autre au gré de leurs ambitions dans la région.
    American Darling est le roman d'une femme dans son époque. Un roman fort, dense, complexe, inoubliable, porté par cette femme, enfant chérie de l'Amérique qui s'est perdue pour mieux se retrouver, et par l'écriture inspirée de Russell Banks. A lire absolument !