Traquenoir

LACY, Ed

Canoe

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    20 février 2023

    Ce livre, paru en 1957 fit l'objet d'une première traduction et parution en français sous un autre titre A corps et à crimes. Traquenoir est une nouvelle traduction, sans doute plus fidèle au texte d'origine selon Roger Martin dans la préface très instructive qui décrit l'auteur et ses convictions anti-racistes, progressistes et pacifistes et son œuvre assez méconnue en France, ce qui est fort dommage ! Ed Lacy est l'un des pseudonymes de Leonard Zinberg (1911-1968), écrivain blanc, "juif, non-croyant, communiste, marié à une Noire et père adoptif d'une petite fille, noire elle-aussi" (p.8). Il crée avec ce titre un personnage de détective noir.

    Je me suis régalé dans ce polar qui nous plonge dans cette Amérique raciste, ségrégationniste et mccarthyste. Ed Lacy a fait de son héros un type pas banal : privé certes et souvent désargenté, comme il se doit, mais fidèle à son amie Sybil -il refuse les avances des autres femmes- ; il roule en jaguar, porte des costumes et chemises de valeur. Atypique dans le monde du polar.

    La critique de la société américaine de l'époque est très présente : la ségrégation bien sûr, la pauvreté et pas seulement celle des noirs, les emplois royalement laissés aux noirs dans l'administration pour leur laisser croire à une intégration dans la société, comme postier par exemple -poste qu'occupera Ed Lacy tout en continuant à écrire-, la violence ou tout au moins la suspicion des policiers envers toute personne noire, les débuts d'une certaine téléréalité... Tout cela en contexte d'une intrigue bien fichue et bien menée, qui, encore de nos jours, et malgré des milliers de romans policiers parus, tient le lecteur jusqu'au bout.

    Ed Lacy, va au plus court ne s’embarrasse pas de détails inutiles comme certains le font maintenant pour arriver à des pavés de 500 pages voire davantage. Et on ne rate rien, comme cet exemple que prend Roger Martin dans sa préface pour décrire la petite amie de l'homme que Touie suit : "on lui donnait dix-neuf ans et son teint pâle, ses yeux cernés, étaient ceux des petits Blancs de la campagne qui n'ont pas mangé à leur faim étant gosses." Voilà, on a une image assez précise de la jeune fille, plutôt que d'en faire des caisses sur son enfance malheureuse...

    Reste à espérer que d'autres traductions des livres d'Ed Lacy suivront, car comment résister à un auteur dont le livre débute par ces phrases :

    "Je finis par arriver à Bingston. Une petite ville du sud de l'Ohio, d'environ deux mille habitants, dont on a fait le tour en trois minutes. Une seule me suffit pour comprendre que j'avais commis une erreur en y venant." (p.19)